By Patricia Bérubé

Un changement est en cours dans les musées, de même que dans la manière dont l’histoire de l’art est présentée globalement. De plus en plus de musées semblent désormais privilégier l’expérience du visiteur et on observe, au même moment, qu’une plus grande importance est accordée à la question de l’accessibilité dans les institutions publiques canadiennes.

Certains musées offrent d’ailleurs des visites guidées, qui peuvent inclure des éléments tactiles en plus de recourir à divers outils numériques. Ces outils vont de l’audioguide jusqu’aux modèles imprimés en 3D et qui peuvent parfois être touchés.

L’exposition immersive Imagine Van Gogh, qui se tient à Montréal, s’inscrit dans cette mouvance. Les visiteurs se promènent dans l’espace de l’Arsenal au cœur d’images géantes extraites des tableaux du peintre. On y perçoit à travers tous ses sens les détails, les touches, la matière et les couleurs.

En tant que boursière 2019 de la Fondation Pierre Eliott Trudeau, mes travaux de recherche s’intéressent à l’impact de ces outils de médiation multisensoriels. En effet, ces outils incluent souvent un élément tactile ou audio, encourageant ainsi le visiteur à se servir de plus d’un sens à la fois. De manière plus précise, je me concentre sur les visiteurs malvoyants et non-voyants.

Il y a deux ans, j’ai co-créé deux prototypes multisensoriels artistiques dans le but d’offrir une façon tactile d’interagir avec une peinture de 1948 ainsi que ses couleurs. L’idée était ici de fournir une version tactile de la peinture afin que les visiteurs puissent la découvrir à l’aide de leurs mains. Ainsi, chaque couleur est représentée par une texture différente. Ces prototypes ont d’ailleurs été exposés au Musée des beaux-arts de Montréal, juste en dessous de l’œuvre originale.

Mais qu’est-ce que les musées gagneraient en suivant ce tournant de l’histoire de l’art ? Comment peuvent-ils commencer à mettre en place davantage d’expériences esthétiques multisensorielles ?

Ces nouvelles approches proposent des solutions aux barrières qui limitent l’accès aux musées pour les publics marginalisés. Ce genre de barrières incluent, entre autres, des facteurs culturels, financiers, émotionnels et intellectuels. Alors que les experts prédisent que le nombre de personnes non-voyantes atteindra 115 millions d’ici 2050 dans le monde, ces chiffres ne tiennent pas compte des autres handicaps.

« Prisme d’Yeux » par Alfred Pellan, 1948, huile sur toile interprétée par Patricia Bérubé en tant qu’object tactile. (Patricia Bérubé/Author provided)

Nouvelles façons de présenter l’art et la culture

La définition du public muséal s’étend depuis peu à des populations qui n’avaient auparavant pas accès à ces institutions. Il est donc maintenant essentiel pour les musées d’adapter leurs manières de présenter leurs collections. Dans son livre The Museum of the Senses : Experiencing Art and Collections, Constance Classen, une historienne culturelle qui s’intéresse à l’histoire des sens, décrit comment les musées modernes ont recours au multimédia et à l’affichage interactif pour stimuler les sens des visiteurs.

En effet, stimuler les sens pourrait s’avérer bénéfique pour aider les visiteurs du musée à retenir l’information grâce à ce qu’on appelle l’intelligence corporelle et kinesthésique. Ce type d’intelligence se produit lorsque nous interagissons activement avec des objets ou certains artefacts par le sens du toucher.

Ainsi, ces outils de médiation novateurs font participer les visiteurs en stimulant de multiples sens, ce qui est bénéfique pour divers publics. Il suffit par exemple de penser au fait que les enfants comptent sur leur sens du toucher pour saisir le monde qui les entoure. Les outils tactiles peuvent donc les aider à en apprendre davantage sur la culture.

Comme ces outils requièrent un certain niveau d’interaction, les visiteurs ne sont plus seulement passifs. Ils peuvent désormais contribuer de manière active à la visite muséale, créant de ce fait des expériences plus mémorables.

L’art multisensoriel

Alors que l’art semble maintenant se concentrer sur d’autres sens que celui de la vue, on observe qu’il tend à évoluer. De nos jours, de plus en plus d’artistes essaient de rendre leur art accessible à tous, soit en ajoutant un élément tactile ou sonore, qu’il s’agisse de descriptions verbales, musique ou bruits. De nouvelles formes d’art ont donc été développées récemment et plusieurs exemples méritent que l’on s’y attarde davantage.

De nouvelles approches multisensorielles de présentation des arts visuels proposent des solutions aux obstacles qui limitent l’accès des publics marginalisés. (Richard Harlow of Blind Eye Works)

Parmi ceux-ci, on retrouve le travail de l’artiste Andrew Myers qui crée des peintures tactiles à l’aide de vis et de clous. Ce type d’œuvre d’art a deux objectifs : être beau pour les visiteurs voyants puisque l’extrémité des vis est peinte, et être accessible par le toucher pour les malvoyants et les non-voyants.

Un autre artiste, Richard Harlow, a décidé de poursuivre sa passion pour l’art après être devenu non-voyant. Afin de s’assurer que son art soit accessible à tous, il a développé différentes techniques pour rendre ses peintures tactiles. Ses œuvres sont aussi accompagnées de descriptions audio et en braille lors des expositions.

Les nouvelles technologies peuvent aussi aider à créer des formes novatrices d’œuvres d’art, qu’elles soient virtuelles ou non. L’un des objectifs potentiels des créateurs de ces œuvres est de trouver des manières d’interpréter une représentation visuelle, soit plus particulièrement les peintures ou les dessins, en quelque chose qui puisse être touché. Pour ce faire, ils doivent utiliser des lignes surélevées et se concentrer sur le récit narratif de l’œuvre.

Le musée comme laboratoire

Alors que plusieurs outils de médiation voient le jour à l’attention des différents publics, l’avenir du musée pourrait-il être assuré par l’évolution de ses fonctions ? Pourrions-nous commencer à voir le musée non seulement comme une institution culturelle, mais aussi comme une sorte de laboratoire social ?

Andrew Myers : l’inventeur des portraits tactiles.

Cette tendance semble effectivement être en train d’émerger puisque le rôle des musées change progressivement, les amenant du même coup à devenir des joueurs clés dans l’inclusion des publics marginalisés. Un bon exemple, parmi tant d’autres, est le cas du Musée des beaux-arts de Montréal qui offre diverses activités visant la promotion d’une « culture de l’inclusion » à travers son département d’art thérapie.

Au milieu de ce virage sensoriel des musées et de l’histoire de l’art, il est essentiel de rappeler que ces institutions sont au cœur même de la société. Lorsque les musées et les institutions artistiques s’efforcent de rendre les artefacts et les œuvres d’art accessibles à des audiences plus larges, ils peuvent contribuer à sensibiliser le public et encourager des interactions sociales respectueuses.

Ainsi, les musées favorisent non seulement les interactions sociales entre les visiteurs venant d’horizons différents, mais contribuent également à créer un sentiment d’appartenance entre eux, et ce, à travers le partage d’une expérience esthétique.


This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Carleton University is a member of this unique digital journalism platform that launched in June 2017 to boost visibility of Canada’s academic faculty and researchers. Interested in writing a piece? Please contact Steven Reid or sign up to become an author.

All photos provided by The Conversation from various sources.


Carleton Newsroom

The Conversation

Friday, January 3, 2020 in
Share: Twitter, Facebook